LCI – Corneille : « J’ai encore une peur irrationnelle d’aller au Rwanda »

C’est un témoignage particulièrement touchant. Dans son autobiographie Là où le soleil disparaît (XO Editions), Corneille retrace sans pathos mais avec beaucoup de générosité et de recul son parcours exceptionnel. Le 15 avril 1994, à 17 ans, il assiste dans sa maison de Kigali, au Rwanda, au massacre de ses parents, de ses deux frères et de sa petite sœur. Seul, il prend la route de la République démocratique du Congo avant de rejoindre des amis de ses parents en Allemagne. Parti s’installer à Montréal, il commence une carrière musicale. En 2003, c’est le succès avec les tubes « Seul au monde » et « Parce qu’on vient de loin ». Mais derrière son sourire se cache des plaies encore à vif. Rencontre avec un artiste dont le talent s’exprime aussi bien en prose qu’en rime. LCI




LCI : Comment est née cette envie de raconter votre histoire dans un livre alors que vos chansons évoquent déjà les épreuves traversées ?

Corneille : J’avais besoin de plus d’espace pour dire ces choses qui me hantent. J’ai mis 5 ans à écrire ce livre. J’ai traîné les pieds car j’appréhendais la partie sur le génocide rwandais. Ce livre me permet également de garder les membres de ma famille disparus vivants, notamment mon père avec qui je dialogue au fil des pages.

LCI : Est-ce qu’il s’agit aussi de transmettre votre histoire à vos enfants, Merik, 6 ans, et Mila, 10 mois ?

Corneille : Oui bien sûr. L’histoire sera là si un jour la mémoire me fait défaut. C’est d’autant plus important que je me suis rendu compte que les visages de mes proches commençaient à s’effacer de ma mémoire.




LCI : Etes-vous un grand lecteur ?

Corneille : J’étais un boulimique de lecture quand j’étais jeune mais aujourd’hui avec deux jeunes enfants, je manque clairement de temps. Mon écrivain de prédilection est Dany Laferrière, sa poésie et sa manière de peindre le réel parle à tout ce qui constitue mes origines.

LCI : Dans votre livre, pourquoi avez-vous choisi d’employer le mot nègre pour vous décrire ?

Corneille : J’ai toujours trouvé que ce mot était beaucoup plus beau que noir, qui est une trop évidente opposition à blanc. Le mot nègre existait bien avant l’esclavage et la colonisation. Il a connu une injustice terrible. En France, le mot avec lequel les gens sont le plus à l’aise n’est même pas noir mais black. Ça illustre bien la complexité de l’homme noir au XXIe siècle qui ne sait même pas comment se nommer.

LCI : Votre père est une des figures centrales de « Là où le soleil disparaît ». Vous ne lui faites qu’un reproche : celui de ne pas avoir quitté le Rwanda malgré les tentatives d’assassinat commises contre lui. Aujourd’hui, comprenez-vous son choix ?

Corneille : Non, mais c’est parce que j’ai vu où cela l’avait mené. A sa place, je ne m’accrocherais pas à un endroit au dépend de la vie des miens. Mon père était investi dans la vie politique de son pays et pour lui tout semblait possible.

LCI : Selon vous, les Rwandais ne se sont pas rendu compte qu’ils étaient au bord du précipice ?

Corneille : Non, sinon il n’y aurait pas eu autant de morts.

LCI : Malgré les traumatismes, lorsque vous êtes arrivé en Allemagne, vous n’avez eu aucune aide psychologique. Vous n’en aviez pas ressenti le besoin ?

Corneille : En arrivant en Allemagne, j’ai retrouvé Jean-Pol et Marianne. Leur réflexe a d’abord été de me donner un cadre de vie le plus normal possible. Et puis, je ne sais pas si j’aurais été prêt à parler à ce moment-là. J’avais une certaine fierté d’avoir vécu tout ça et d’avoir réussi à surmonter ces épreuves seul. Mais en réalité, les plaies étaient très loin d’être guéries.

LCI : Comment en avez-vous pris conscience ?

Corneille : Grâce à ma femme, Sofia. En amour, il faut être transparent et pour y arriver j’ai dû faire un travail thérapeutique. Je me suis rendu compte de mes dysfonctionnements sociaux et comportementaux. Etre dans le show-biz ne m’a pas aidé. On ne peut pas vouloir être meilleur puisqu’on est déjà le plus beau, le plus brillant.




LCI : Dans ce livre, vous évoquez également votre viol à l’âge de 6 ans par votre tante de 18 ans. Pourquoi n’avez-vous jamais évoqué ce drame avec vos parents ?

Corneille : Une partie de moi savait ce qui c’était passé et se sentait grandement diminué. Mais surtout, une partie de moi savait que quelqu’un m’avait fait du tort et que ce quelqu’un c’était peut-être moi. Comme dans tous les cas d’abus sexuel sur des enfants, les victimes mettent du temps à comprendre qu’elles n’ont pas de responsabilité. Le génocide, cela fait énormément de peine mais c’est facile à expliquer. Un autre est responsable, je n’y suis pour rien. Mais pour cet abus sexuel, ce n’était pas clair. J’étais acteur de la scène. Enfin, j’ai compris qu’à 6 ou 7 ans, un enfant est innocent. Il faut arriver à se dire ‘Je n’y suis pour rien’.

LCI : Est-ce que l’heure du retour au Rwanda a sonné pour vous ?

Corneille : C’est la seule partie de mon identité avec laquelle je n’ai pas renoué. J’ai encore une peur irrationnelle. Les hommes qui ont décimé ma famille cette nuit-là étaient des membres de l’armée aujourd’hui au pouvoir au Rwanda. Les miliciens hutus ont massacré des centaines de milliers de Tustis mais il existe des cas, comme le mien, où l’armée tusti a tué de sang-froid des enfants. J’ai du mal à me dire qu’en arrivant à l’aéroport, je verrais peut-être les soldats qui ont tué les miens.




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Couverture de l'autobiographie de Corneille