Incapable de composer des chansons sur commande, mais impatient de retrouver son public, Corneille a choisi de mettre l’auteur-compositeur de côté et de laisser toute la place à l’interprète qu’il est sur son nouvel album Love & Soul, un disque qui lui a permis de renouer avec le plaisir de chanter, tout simplement.
Cette dose de simplicité et de légèreté, l’artiste en avait grandement besoin après avoir consacré temps et énergie à l’écriture de son autobiographie, Là où le soleil disparaît.
Paru en 2016, ce bouquin lui aura permis d’immortaliser son incroyable parcours et de s’ouvrir sur les drames qui ont jalonné sa vie, comme l’agression sexuelle dont il a été victime, enfant, et l’exécution des membres de sa famille au Rwanda, en 1994.
« La bio m’a demandé énormément d’énergie. J’ai passé cinq ans à écrire et à écrire. C’était un flot de pensées et de souvenirs », a-t-il expliqué.
« Je n’étais pas limité par un cadre de structure, comme dans une chanson, où il y a tellement de codes et de paramètres à respecter, a-t-il poursuivi. Je me suis donc complètement perdu, là-dedans. En même temps, en faisant Forever Gentlemen, j’avais l’impression que j’étais en récréation. Je ne travaillais pas du tout. »
Aux côtés de ses complices Garou et Roch Voisine, avec qui il a repris les succès des plus grands crooners, au Québec comme en Europe, Corneille dit avoir redécouvert le simple plaisir de chanter.
« Chaque soir, nous étions en communion avec le public. J’ai trouvé ça vraiment l’fun et je savais que je voulais reproduire ça avant d’embarquer sur un nouveau projet d’album original en français, a-t-il dit. Juste pour triper et me faire plaisir, pour rester dans cette espèce de légèreté. »
Retour en enfance
Dans le cadre du projet Love & Soul,Corneille a poussé sa quête de légèreté un peu plus loin en se penchant uniquement sur des pièces qui ont marqué son enfance, époque de sa vie où il n’avait pas encore d’ambitions artistiques.
« À partir de l’âge de 15 ans, j’entendais la musique d’une manière différente, a-t-il expliqué. En fait, je ne l’entendais plus : je l’écoutais, je l’étudiais, je la décortiquais, je la critiquais et je l’encensais. Alors qu’enfant, la musique me faisait du bien, tout simplement. »
Parmi les 12 pièces qui se sont taillé une place sur le disque, on compte de nombreux classiques comme It Ain’t Over Till It’s Over (Lenny Kravitz), Careless Whisper (Wham!), True (Spandau Ballet), Time After Time (Cyndi Lauper), Wicked Game (Chris Isaak) et Smooth Operator (Sade).
« La chanson de Sade, et même celle de Spandau Ballet, ce sont des chansons que mes parents écoutaient. Ce sont des chansons qui sont dans mon inconscient, parce que ça tournait dans la maison souvent », a souligné l’artiste.
« Pour moi, c’est un peu comme si chaque chanson représentait une photo d’un instant ou d’une période de mon enfance, a-t-il ajouté. Cette trame sonore accompagne mes souvenirs. Quand j’essaie de me rappeler le Rwanda de mon enfance, je vois ces chansons-là. »
Plus grand que soi
Bien que ces pièces constituent la « trame sonore de sa vie » (en partie, du moins), Corneille les aborde avec un détachement dont il ne peut faire preuve lorsqu’il s’agit de ses propres compositions.
« Cet album, ça dit quelque chose sur l’époque dans laquelle j’ai grandi, sur ma génération, mais je me suis rendu compte que ça en disait beaucoup moins sur qui je suis comme personne. Ça en dit plus sur ce qui nous rassemble comme êtres humains », a-t-il précisé.
« Il faut comprendre que ces chansons-là, je les ai entendues quand j’étais au Rwanda, un petit pays enclavé avec aucun accès à la mer. De rencontrer des gens en France ou ici qui me disent qu’ils les adorent et de constater qu’elles leur font le même bien qu’elles m’ont fait à moi, ça me dit que la musique a cette force-là de pouvoir nous transporter à une autre époque. D’avoir ça en commun avec des gens qui ont grandi à des milliers de kilomètres de moi, je trouve ça extraordinaire et je ne pense pas que je pourrai vivre ce type d’expérience en tant qu’auteur-compositeur. »
Parenthèse
Bien qu’il ait eu un plaisir fou à revisiter ce répertoire, qu’il fredonne également à sa fille lorsqu’il l’accompagne dans sa routine du dodo, Corneille n’a pas l’intention de donner suite à son projet.
« Je le vois comme une parenthèse dont j’avais besoin pour reprendre mon souffle et continuer après », a-t-il expliqué.
En forme et inspiré, l’artiste est aujourd’hui prêt à remonter sur scène et à aller à la rencontre de son public. Il le fera notamment au Casino de Montréal, du 9 au 17 novembre, mais aussi au printemps 2019, en compagnie de ses complices de Forever Gentlemen.
« On ne peut jamais se défaire d’où on vient »
Corneille a fait du Québec son chez-soi il y a de cela 21 ans déjà. Et malgré toutes ces années passées loin de son pays d’origine, qu’il a quitté après avoir survécu au massacre de sa famille, en 1994, l’auteur-compositeur-interprète de 41 ans ne s’est jamais senti aussi proche de ses racines africaines et rwandaises qu’aujourd’hui.
« Les circonstances dans lesquelles j’ai quitté mon chez-moi ont toujours voulu m’arracher complètement de ce pays-là. Mais il n’y a rien à faire. Plus je vieillis, plus je ressens cet appel. C’est de pire en pire, ou de mieux en mieux. Plus j’avance en âge, plus c’est fort », a indiqué le chanteur, en entrevue.
« Heureusement que je suis artiste, a-t-il ajouté. Heureusement que je crée, parce que c’est une belle façon d’établir un pont, de me rappeler d’où je viens et de le dire haut et fort. »
La séance photo réalisée pour les besoins de ce reportage, qui rend hommage à l’univers des sapeurs congolais, ces adeptes du mouvement de mode Société des ambianceurs et des personnes élégantes (SAPE), l’a d’ailleurs comblé de bonheur.
« Ça, ça fait des années que j’ai envie de le faire », a-t-il dit, les yeux brillants, en pointant le studio où venait à peine de se conclure l’exercice.
« Tout en Afrique m’appelle. Par contre, il y a cette distance physique, cette distance pratique qui m’empêche de le vivre. (…) Mon truc, pour combler ce trou, c’est de mettre le plus d’Afrique possible dans ce que je crée. Et je vais le faire de plus en plus. »
Tournée africaine
Malgré tout, n’allez pas croire que Corneille s’est complètement réconcilié avec son passé et le pays qu’il a fui dans des circonstances inimaginables, à l’âge de 17 ans. Entre le fait de ressentir son africanité vibrer dans tout son être et remettre les pieds sur le territoire où il a tout perdu, il y a un monde.
Ce n’est donc pas un hasard si le ton devient plus sérieux lorsqu’on lui parle de ses admirateurs africains, qui espèrent pouvoir le revoir sur scène sur le continent, dans un avenir rapproché.
« Ça, c’est mon gros pincement au cœur et mon rêve en même temps », a indiqué le chanteur, ému.
« Comme je dis toujours, je n’ai pas envie de faire un ou deux shows en Afrique et de revenir. Si je fais une tournée en Afrique, j’ai envie de prendre un mois de mon temps et de faire ça comme il faut. J’aimerais visiter un maximum de pays. Je n’ai jamais vraiment fait de tournée, là-bas.
J’ai fait des shows en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Maghreb, mais je n’ai pas fait le grand tour de l’Afrique subsaharienne. J’en ai tellement envie. Je ne suis jamais allé au Cameroun, je ne suis jamais allé au Congo et je ne suis jamais allé au Rwanda. »
Si une chose est sûre, c’est que ce retour marquera une étape importante dans le cheminement personnel de l’artiste, s’il se concrétise.
« Pour moi, c’est gros. Ça va au-delà de ma carrière. En fait, ça n’a presque rien à voir avec ma carrière. C’est très personnel. C’est un voyage qu’il va falloir que je fasse un jour, mais je veux bien m’y préparer. »
Les enfants
Cette amorce de réconciliation, Corneille estime qu’il la doit en grande partie à sa famille métissée, lui qui est marié à Sofia de Medeiros, une Québécoise d’origine portugaise avec qui il a eu deux enfants, un garçon et une fille.
« Ce qui est étrange, quand on est en couple métissé, comme moi, c’est que mes enfants ne sont pas que noirs. Ils ne sont pas que rwandais. Ils sont autre chose. Ils sont québécois et portugais aussi. Donc je suis devenu québécois et portugais. Je suis devenu blanc, nord-américain et méditerranéen, parce qu’il n’y a rien qui me soit plus proche que mes enfants. Affectueusement, mais même biologiquement et génétiquement », a-t-il souligné.
« À un moment donné, on est obligé de faire la paix avec d’où l’on vient. Je suis obligé d’aimer le Rwanda, car sinon, c’est une partie de mes enfants que je vais renier, a-t-il ajouté. En même temps, je suis aussi obligé d’aimer le Québécois et le Portugais, puisqu’il est devenu moi. C’est intense. Par ma progéniture, je m’éloigne génétiquement de mes racines, mais je m’en rapproche grâce à eux aussi. »
La paix
Malgré le déchirement qu’il ressent et le défi que cette réconciliation représente dans sa vie, l’artiste se rapproche de plus en plus de son objectif. C’est avec beaucoup de sagesse qu’il constate aujourd’hui tout le chemin qu’il a parcouru, au cours des dernières années.
« On ne peut jamais se défaire d’où l’on vient. Qui que l’on soit. Ces racines-là font partie de nous à vie, quel que soit le rapport ou le conflit que l’on a pu avoir avec cet endroit. Il faut faire la paix avec, et moi, je suis là-dedans. Je suis en voie de faire la paix. Le vrai travail a commencé avec le livre. Ç’a été ça, le gros du cinq ans que j’ai passé à écrire ce livre-là : faire la paix avec mes origines. »
Le Journal de Montréal