Tandis que sort le 18 mai son album de reprises de tubes des années 80 et 90, Love & Soul, le chanteur nous entraîne dans Montréal, sa ville d’adoption.
Au volant de son 4X4 dans les rues d’un Montréal où le printemps tarde à apparaître, Corneille se souvient. La mémoire est vive, le verbe précis :
« J’ai atterri au Canada le 22 juillet 1997. J’avais vingt ans. Il faisait très beau, c’était la saison des festivals. J’ai tout de suite aimé ce pays, et je suis resté accro ».
Le boulevard Saint-Laurent, encore enneigé, n’est plus très loin. Il se gare. Longtemps il a chanté avec son groupe dans ce bar au numéro 3481, avant de faire carrière en France et ailleurs. Rebaptisé depuis Bootlegger, l’authentique et spécialisé dans les whiskys, l’établissement accueille toujours les musiciens comme les amateurs de cocktails. En entrant, Corneille s’étonne :
« Tiens, la scène me paraissait encore plus petite que ça ! A l’époque je chantais trois fois par semaine dans ce genre d’établissement. Je venais de m’inscrire à l’Université et je n’étais pas encore boursier. Ça me rapportait, allez, entre 60 et 100 euros par soirée ».
Avant l’Amérique du Nord, la route a été longue pour Cornelius Nyungura dit Corneille. Né en Allemagne, où ses parents faisaient leurs études, il a passé son enfance au Rwanda. Après avoir assisté au massacre de toute sa famille lors du génocide de 1994, il s’enfuit au Zaïre, puis est recueilli à l’âge de dix-sept ans par des amis de ses parents du côté de Cologne.
« J’étais dans un internat tenu par des Belges, et ma famille d’accueil était un couple franco-allemand. Là-bas, je me sentais vraiment de passage ».
Il s’envole alors pour le Québec, où un de ses oncles peut l’héberger, faire ses études supérieures.
« Il fallait que j’aille à la fac. Pas forcément pour moi, mais pour mes parents qui n’étaient plus là, pour aller au bout de mon parcours. J’étudiais les métiers techniques de l’audiovisuel. J’aimais bien, mais j’avais depuis le début la musique en tête ».
Dès sa première semaine à Montréal, le jeune Corneille va traîner dans les magasins de disques de la rue Sainte-Catherine, l’artère commerçante de la ville. Aux rayons soul et hip-hop, il croise quelqu’un qui lui raconte que des copains à lui cherchent un chanteur. C’était parti pour la tournée hebdomadaire des bars, dans la fumée des cigarettes de onze heures du soir à trois heures du matin. Assis derrière le piano centenaire du Bootlegger, Corneille se marre :
« Le plus drôle, c’est qu’on a fini par se faire virer d’ici. On jouait depuis quelques mois et en fin de soirée quand on chantait Let’s Get It On de Marvin Gaye, par exemple, ça devenait un peu chaud, les filles nous lançaient leurs soutiens-gorge. La propriétaire nous a alors demandé de changer de répertoire. On était jeune, on n’en avait rien à cirer et on a refait la même chose le lendemain. Résultat, on s’est fait dégager ».
Corneille, de nationalité canadienne depuis 2004, n’habite plus à Montréal, mais dans une jolie banlieue, à une quarantaine de kilomètres. Jamais, pourtant, il n’avait pensé s’installer ici. En débarquant, il rêvait plutôt de New-York ou de Los Angeles, mais le sort en a décidé autrement :
« Je voyais le Canada comme une porte d’entrée pour les Etats-Unis. Jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, je désirais faire carrière là-bas, pas à Paris! Lorsque j’habitais en Afrique, mes idoles s’appelaient Prince, Marvin Gaye ou Stevie Wonder. Puis je me suis rendu compte qu’il était insensé d’être francophone dans un pays francophone tout en rêvant d’Amérique. Mieux valait trouver mon style, essayer de faire groover la langue française ».
La suite lui a donné raison avec son premier succès Parce qu’on vient de loin, en 2003, et une jolie carrière depuis de ce côté-ci de l’Atlantique. Une carrière qui se poursuit, le 18 mai, de Love & Soul (Wagram/Lab), un album de reprises de succès majoritairement issus du début des années quatre-vingt-dix, immortalisés par George Michael, Tracy Chapman, Lenny Kravitz ou encore Terence Trent d’Arby.
« Ces chouettes chansons me rappellent mon enfance, le Rwanda, les avocatiers dans le jardin de mes parents, la radio dans les boutiques de la ville dans lesquelles on les entendait. Elles me rappellent aussi mes débuts, quand je les chantais dans les bars avec innocence ».
Un peu plus tôt dans la journée, Corneille s’est garé dans les quartiers nord de la ville. Il a rendez-vous à son club de boxe tenu par Ali Nestor, un ancien champion versé également dans la lutte contre le décrochage scolaire. En enfilant sa tenue d’entraînement, le chanteur explique :
« Avec Ali , nous nous sommes rencontrés il y a quelques années sur un plateau télé. Lorsque je cherchais un moyen de me tenir en forme, mon épouse Sofia m’a conseillé de l’appeler ».
Après une séance sur le ring où il a joué le rôle de sparring partner, Ali remarque :
« Corneille est avant tout un sportif cérébral. Il veut toucher à tous les arts martiaux, et surtout à chaque fois comprendre le pourquoi du comment ».
En sueur, l’intéressé acquiesce. Il se fait tard, il est l’heure pour lui de rentrer à la maison. Pourquoi a-t-il choisi de vivre au Canada alors que la majorité de son public se trouve en France? Sa réponse est simple :
« Mon épouse est d’ici (Sofia de Medeiros, un mannequin d’origine canado-portugaise, ndlr) et mes beaux-parents habitent à une minute de chez nous. Pas de problèmes de baby-sitting! Notre fils Merick, dix ans, est à l’école ici, et notre fille Mila n’a que deux ans. Plutôt que de déraciner les miens, je préfère les allers-retours en France pour le boulot ».
Après son long voyage, Corneille a en effet bien mérité de se poser, enfin.
SEBASTIEN CATROUX
Source : Gala, 2 mai 2018