Ce n’est pas, tant s’en faut, un disque à l’eau de rose. Pourtant les notes d’Encre rose, 9e album du Canadien Corneille, ruissellent d’amour et de tendresse. Cette ode à la vie pleine d’ondes positives fleure bon la soul et le r’n’b américains de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt.
C’est à la musique qu’il aime que Corneille rend ici hommage. Et pas n’importe laquelle. Celle qu’il écoutait, enfant, au Rwanda avant de décider d’être artiste. « C’était une écoute très passive, très pure. Je crois que c’est pour cette raison que c’est la musique que j’écoute encore le plus aujourd’hui », nous confie-t-il au téléphone, depuis Montréal.
Ses idoles Prince, Stevie Wonder, Shalamar bien sûr, mais aussi S.O.S. Band et surtout Luther Vandross, sont donc indirectement très présentes sur ce disque. Des influences pleines de vie, de groove et de danse. À l’image de cet album dont « l’encre rose » se veut une réponse à la morosité et au communautarisme.
« C’est ma réaction à la violence que j’ai pu lire et entendre dans les débats publics. Parallèlement à la pandémie, certains se sont pris à réagir à qui les offense, en raison de leur couleur ou de leur identité, par la même colère au nom du ‘vivre ensemble‘. C’est contradictoire et absurde ! Je voulais écrire des mots plus bienveillants ». Et voici une invitation à l’empathie posée sur des musiques qu’il a composées sans présumer que l’album serait aussi dansant.
Histoire de famille
Pour l’enregistrer, il s’est entouré d’artistes avec lesquels il collabore depuis des années, comme le saxophoniste virtuose Giovany Arteaga (dont le jeu éclatant, très présent sur l’album sublime Bon voyage et Pause). « C’est une affaire de famille, nous raconte Corneille, j’avais besoin du confort d’être entouré de gens proches de moi ».
Une « affaire de famille », littéralement aussi, puisque les chansons sont co-écrites, comme à l’accoutumée, par son épouse Sofia de Medeiros. « Elle m’offre, avec tact, l’audace de sortir de mes pudeurs. Elle écrit le premier jet de toutes les chansons. Elles sont les prolongements de thèmes qui nous préoccupent, dont on parle au petit déjeuner devant un café, ou le soir à table avec les enfants ».
En découlent des chansons inspirées de leur vie comme le très dansant Petit pas. Corneille y chante « Tu veux aller vite/ Toujours sauver du temps/ Comme si le temps était vraiment de l’argent ». Un morceau dédié à leur fils. « Il voudrait que tout aille plus vite, même prendre sa douche ! Il y a une vraie culture de la course, notamment aux abonnés sur les réseaux sociaux (Rires), mais il faut aussi profiter du paysage, faire des pauses. C’est bien de ralentir un peu ».
La filiation s’exprime aussi à travers deux morceaux dédiés aux parents de Corneille, Encre rose (pour sa mère) et Les hommes de sa vie. Cette dernière, très groovy, soutenue par une guitare blues, est un hommage aux hommes qui l’ont aimé et particulièrement à son père. « La masculinité est aussi affaire de tendresse. Les hommes aussi sont capables de remplir une vie de douceur et de droiture. J’en ai eu de vrais exemples, je voulais les célébrer », nous confie-t-il.
Étoiles
Mais l’encre rose du chanteur sait aussi se faire piquante. Comme sur Le Prix des étoiles. « Dis-moi le prix d’une étoile filante », y chante-t-il. Corneille y retrace la mort de célébrités, selon lui paradoxalement sanctuarisées une fois mortes. « Whitney Houston, Amy Winehouse ou DMX étaient les risées des réseaux sociaux et des médias de leur vivant pour leurs problèmes avec la drogue ou l’alcool… Elles sont devenues des légendes en grande partie parce qu’elles ne sont plus. Je voulais interroger notre comportement envers nos idoles.«
Ce n’est pas le seul hommage sur lequel le chanteur invite à la réflexion. Sur Rope a Dope, pur morceau de r’n’b, c’est à Mohammed Ali et à son combat mythique à Kinshasa qu’il se réfère. Une invitation à adopter la stratégie du célèbre boxeur. « Il s’était énormément entraîné pour recevoir les coups passivement et épuiser son adversaire, nous explique Corneille. C’est une métaphore de la façon dont je perçois les problèmes des communautés identitaires. Elles se sentent lésées, et avec raison, notamment aux États-Unis, mais il faut parfois savoir attendre son heure ».
Corneille prône donc la patience, mais aussi et surtout l’amour. « Il faudra beaucoup d’amour pour gagner la guerre », chante-t-il sur Rendez-vous à minuit. Quant à Nouveau monde, au swing ravageur, c’est une déclaration d’amour aux autres : « tous les mêmes, et tous différents ». Corneille croit à des lendemains heureux. Un espoir que l’on retrouve sur Nouveau pouvoir qui clôt cet album pétulant et revigorant.