Public – Corneille : « Je me suis longtemps interdit l’amour »

Public : D’où t’est venue l’idée de reprendre des tubes anglo-saxons ?

Corneille : Alors, après avoir écrit, composé et arrangé six albums, j’ai ressenti le besoin de faire une pause. De retrouver le plaisir d’être un simple interprète.

Je crois que Mila, ta fille, n’est pas étrangère à la tracklist…

C’est grâce à elle que j’ai choisi ces chansons, qui sont celles que je lui fredonnais pour l’endormir quand elle était bébé. Je me suis rendu compte après coup que c’était aussi une façon de renouer avec ma propre enfance… Ces tubes eighties, mes parents les écoutaient lorsque j’étais ado. Plus tard, quand je suis arrivé à Montréal, ce sont ceux que j’interprétais dans des petits clubs.

Pourquoi inviter Sandrine Quétier pour chanter Sign Your Name avec toi ?

J’aime l’idée de partager un duo avec quelqu’un dont ce n’est pas le métier. Sandrine est une fi lle spontanée et généreuse. Je l’ai rencontrée lorsque j’étais candidat de Danse avec les stars. Et ce que le public ignore, c’est qu’avant les directs, elle chantait toujours pour chauff er le public. Son talent d’interprète me bluffait à chaque fois ! Je suis touché qu’elle ait accepté mon invitation. Et j’adorerais faire de même avec Charlotte Lorgeré, une footballeuse de l’équipe de France, que j’ai entendue reprendre du Adele sur YouTube. Elle a un grain de voix incroyable !

Dans ton autobiographie, tu as raconté ce soir d’avril 1994, lorsque ta famille est abattue au Rwanda…Comment t’en es-tu relevé ?

Je crois qu’on naît tous avec un potentiel de résilience… J’avais encore envie de vivre, malgré ce que j’ai vu… J’ai reçu beaucoup d’amour avant que ma famille ne disparaisse et j’ai dû en garder pas mal. Je suis une victime, pourtant je ressens parfois la culpabilité d’être le seul survivant. Écrire des chansons m’a permis de m’exprimer au-delà de ce qui fait mal.

C’est vrai que ton désir d’avoir une fille vient du fait que tu n’as pas pu sauver ta sœur ?

Il y a de ça. Mais quand j’ai senti le danger que ça devienne le moteur principal, j’ai eu le courage d’en parler à mon épouse. Le risque aurait été de projeter cette envie de revoir ma petite sœur sur ma fille, d’espérer qu’elle prenne sa place ou ait le même caractère… Le verbaliser a permis d’éviter cette erreur. Faire des enfants est toujours un peu égoïste, c’est une façon de laisser un héritage, de ne pas mourir.

Verbaliser le viol que t’a fait subir une de tes tantes, lorsque tu avais 6 ans, t’a aussi libéré. Pourtant, tu dis que cet abus a laissé des traces beaucoup plus indélébiles que la perte de ta famille…

On est rarement responsable de la perte d’un être cher. Alors que dans le cas d’un abus sexuel, on se demande toujours si on l’a mérité ou provoqué. Le viol est destructeur. Il a cassé mon rapport à moi, à mon corps, aux femmes… J’ai longtemps vécu dans la honte d’être, en me persuadant que je n’étais pas brisé. Il fallait que ça sorte, c’était un besoin. Je me suis fait violence, mais ça m’a transformé et donné une force que je ne soupçonnais pas.

Puis tu as rencontré Sofia, ta femme…

Je me suis longtemps interdit l’amour, le plaisir et la légèreté. Sans Sofi a, j’aurais continué à vivre en me coupant de toutes ces belles choses. Nous nous sommes rencontrés une première fois en 2002, sur le tournage de mon clip, Ensemble. Elle était en couple et ne m’avait pas trop calculé.

On s’est revus deux ans plus tard, chez des amis. Au moment de partir, elle m’a donné son téléphone. Quand une fi lle canon te donne son vrai numéro, c’est qu’un truc se passe. On s’est appelés toute la nuit.

Était-elle aussi une âme cabossée ?

On avait un parcours de vie assez similaire, notamment parce qu’on est déracinés. Sofi a est la première personne à qui j’ai confi é mon passé. Elle a percé ma carapace. On avait tellement d’amour l’un pour l’autre qu’on a eu la certitude que même en dévoilant le moins bon de nous, on resterait ensemble. Douze ans plus tard, c’est toujours le cas. J’ai dû faire un truc extraordinaire dans une vie précédente pour la connaître : c’est ma meilleure pote, et en plus elle est supercanon. Non mais, généralement, c’est l’un ou l’autre. (Rires.)

La fidélité, c’est important ?

Ce n’est pas une vertu. Avec Sofia, je suis fi dèle car je n’ai pas d’autre besoin.

Tu es quel papa avec Merik (8 ans, ndlr) et Mila (2 ans et demi) ?

J’ai reçu une éducation à l’africaine. Enfin, mon père ne me donnait pas de coups de ceinture ! Mes parents faisaient figure d’autorité, je ne discutais pas leurs ordres et cela m’a tenu debout. Avec mon fils, j’ai appris à négocier tout en cadrant les choses. Ce qui ne m’empêche pas d’être papa poule. (Il s’interrompt pour répondre à un appel FaceTime de sa femme et ses enfants.) La paternité m’a sorti de moi, m’a reconnecté avec les autres. Plus le temps passe et plus j’aime rester à la maison avec mes enfants et ma femme.

Ton père rêvait de faire carrière en politique. Et toi ?

Jamais ! Bien qu’ingénieur, mon père était un artiste frustré qui avait des carences d’attentions. Il recherchait tout ce qui pouvait lui apporter de la lumière.

Vis-tu chaque jour comme le dernier ?

C’est impossible ! Quand j’ai écrit cette chanson, c’était un fantasme. Personne ne veut mourir demain. Disparaître m’angoisse de moins en moins. Je redoute surtout ça pour ceux que j’aime et qui resteront.

Public, 25 mai 2018